Prime
John Hina, plus souvent appelé «Prime», travaillait sur sa dernière fresque lorsque nous l’avons rencontré. Ses deux filles, Shanalisa et Arieta, l’observaient avec fierté. Cette fresque est l’une parmi neuf autres sur le thème de l’eau et des problèmes locaux liés à l’eau. L’une est située à Los Angeles, un autre à Oakland et les autres fresques sont en préparation aux Philippines, en Palestine, au Salvador et en Colombie. Estria Miyashiro a lancé ce projet international. Après avoir vu la fresque de Prime dans Pāwaʻa Street, il lui a demandé, ainsi qu’à une dizaine d’autres artistes locaux, de se joindre à l’aventure. La fresque de Prime représente le cycle de l’eau à Hawaiʻi, de la terre (mauka en hawaiien) à l’océan (makai). La fresque montre l’eau de pluie froide faisant pousser le taro en altitude. Elle coule ensuite vers les étangs à poissons et continue à travers les plantations de canne à sucre et autres cultures pour enfin retourner dans la mer. La communauté hawaiienne était prospère avant l’arrivée des militaires à Pearl Harbor qui a brisée ce cycle. La fresque présente également une vision futuriste d’Hawaiʻi en matière d’approvisionnement d’eau et d’énergie avec des panneaux solaires, des éoliennes et des immeubles couverts de végétation. Cette vision n’est pas si futuriste que ça car sur la côte Est d’Oʻahu, à Waiāhole, des turbines à eau, des panneaux solaires et des jardins hydroponiques fournissent de l’électricité et une indépendance énergétique à toute une communauté vivant sur environ huit hectares. La reine Lili`uokalani est représentée au centre de la fresque car elle a joué un rôle essentiel en faisant de l’eau un bien public juste avant le renversement de la monarchie hawaiienne. La reine est représentée avec la cape et la couronne du roi David Kalākaua’s car il a adopté la technologie et le changement sans compromettre la culture hawaiienne.
Prime a grandi sur l’île d’Oʻahu. Sa mère est samoane et son père est hawaiien. Lorsqu’il était enfant, il allait nager dans le canal Ala Wai. Maintenant, l’eau y est trop polluée et ses enfants ne peuvent plus y jouer. Ils doivent aller ailleurs, loin de la foule. Prime se souvient du temps où les gens se connaissaient et où l’épicier faisait crédit. Cette relation amicale a disparu avec l’arrivée des grandes surfaces. Bien que seulement trois à la maison, les parents de Prime cuisinaient pour vingt et partageaient avec les voisins et les travailleurs trop occupés pour se préparer à manger. Aujourd’hui les gens ont peur de partager et d’établir des relations avec leurs voisins. Le père de Prime n’avait pas le droit de parler Hawaiien alors Prime a appris l’anglais et le samoan qu’il parle à ses enfants. Aujourd’hui, Prime est heureux de constater que les enfants hawaiiens parlent à leurs parents en hawaiien. Ce savoir a sauté une génération mais reste bien vivant. Prime habite maintenant à Waiʻanae où il aime aller à la plage avec ses cinq enfants. Selon lui, le «aloha spirit» existe encore à la campagne mais il est altéré en ville car les multiples cultures peuvent parfois être source de malentendus et de tensions.
Prime a beaucoup pratiqué le «locking» et le «popping», l’ancêtre du «breaking» aussi appelé break dance. Il a ainsi été introduit à l’art du graffiti. Ce mouvement est né à New York et est arrivé à Oʻahu en 1984-1985. Le graffiti est l’une des «quatre jambes» du hip hop. Les autres «jambes» sont le DJ, le MC (rappeur) et les B-Boys (danseurs de break dance). La communauté des grapheurs est généralement clandestine. Lorsque Prime a décidé d’exposer son travail aux yeux du public pour transmettre son savoir et ses craintes sur le monde actuel, sa communauté ne l’y a pas encouragé. Aujourd’hui les choses ont changé et certains grapheurs travaillent avec lui sur certaines fresques. Prime a travaillé avec des grapheurs parisiens, australiens, allemands ainsi que d’autres artistes internationaux en visite sur l’île. Rencontrer ces personnes est l’occasion pour Prime de partager son expérience et son savoir. La nouvelle génération utilise Internet plutôt que les contacts directs. Ils apprennent bien plus vite mais selon Prime, ils perdent également une partie du savoir concernant le processus de création.
Prime a grandi en ville. Il trouve que la jungle de béton crée de nombreuses opportunités pour le graffiti. Après tout, les immeubles ne sont-ils pas une forme de graffiti? Le graffiti connaît une renaissance et les jeunes s’y intéressent de plus en plus. Depuis cinq ans, Prime travaille avec des adolescents vivant dans des quartiers difficiles. Il leur apprend l’histoire, l’étiquette, le respect, les règles du graffiti ainsi que le mode de vie associé. Lorsque les adolescents participent aux ateliers de huit semaines qu’il organise, ils doivent être assidus et Prime reste en contact avec eux et leur famille. Les jeunes commencent avec un cours d’introduction au graffiti. Lorsqu’ils passent au niveau supérieur, c’est à eux d’enseigner le cours d’introduction aux nouveaux élèves. Le savoir se transmet ainsi d’un jeune à un autre. Les fresques sont la forme la plus évoluée du graffiti et certains jeunes dont s’occupe Prime viennent voir la dernière fresque de Prime pour observer et apprendre des artistes plus expérimentés.
L’agenda de Prime est rempli jusqu’à la fin de l’année. Il organisera un atelier sur l’île de Maui en juillet et il fera une représentation en solo au Fresh Café à Kaka'ako en août. L'inauguration de sa dernière fresque aura lieu le 7 juillet entre 16h et 19h au 905 Kokea Street. Il y aura une grande fête avec des spectacles de hip hop et de hula traditionnel.
John, merci beaucoup de nous avoir fait partager ton aloha!
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